Il est des histoires qu’on espère fausses. Comme ces histoires stupides sur lesquelles on tombe au détour d’une page Facebook et qui commencent presque toutes par un imparfait larmoyant : « une mère n’avait qu’un enfant…»; « Un médecin célèbre traversait un jour la route… »; « Un bébé sans queue ni tête parla un jour dans le ventre de sa mère… ». Bref, des histoires à l’eau de larmes et à la fin desquelles on nous demande invariablement de taper un amen pour espérer je ne sais quel miracle.
C’est une histoire pareille que je vais vous raconter aujourd’hui. La mienne est vraie, hélas.
C’est un adolescent marchant par une après-midi. Plutôt grand pour son âge. Beau, fringant. Il se lance dans une de ces aventures que tous les jeunes de son âge connaissent un jour ou l’autre : la conquête d’un cœur aimé. Une fille, un premier amour. Généralement pas le dernier, mais celui-ci, à cet âge, a la force destructrice d’un ouragan. Le cœur qui baigne dans un perpétuel état fait d’une dualité de déchirement et d’exaltation, les tripes qui se nouent à la moindre évocation de l’être aimé.
Il a rencontré la fille lors d’une fête au cours de laquelle il ne dansait pas. Dialogue timide fait de gestes et de regards. Cœurs qui opinent. Ils se sont trouvés. Aujourd’hui il va chez elle, invité. Il n’a qu’un bout de papier avec une indication comme il en existe beaucoup dans ce pays, où chaque carrefour est une histoire avant d’être un lieu : La rue derrière le Lycée technique, au carrefour Trois vampires, il y a bar penché. La deuxième maison à droite, avec un portail jaune.
Il est en retard. Il transpire. Le trac, l’exaltation, le stress, l’excitation.
Lorsqu’en forêt tu te retrouves deux fois devant le même arbre, c’est que tu es perdu. Proverbe bantou.
Deux fois qu’il passe devant la même buvette pleine de jeunes gens qui semblent de plus en plus intéressés par ses allées et venues. Sensation de malaise. Il est perdu. Il laisse la rue principale pour emprunter un chemin de traverse qui, il l’espère, le remettra sur le droit chemin. Impasse. Il est dans une cour privée dont aucune barrière n’indique le caractère privé.
Une jeune fille pointe la tête hors d’une cuisine enfumée. Elle vocifère, tu le vois bien. Elle t’invective, Tu le sens. Tu bafouilles en lui tendant le bout de papier. Elle sent la fumée et la sève de plantain, elle ne lit pas. Tu essaies de faire demi-tour, elle t’agrippe, tu résistes, et t’enfuis. Tu cours et ne l’entends pas hurler.
Au cri « Au voleur ! » les jeunes gens du bar ont bondi sur leurs pieds. La sente à peine empruntée, ils tombent sur le jeune suspect de tout à l’heure. Il court, sournoisement, comme un Judas se disent-ils. Chasse au traître, il est fait prisonnier. Il transpire.
La fille sentant la sève de plantain et la fumée déboule. « C’est un voleur, je l’ai trouvé en train d’essayer d’entrer dans notre salon pendant que j’étais occupée à la cuisine ».
Tu sens la tension qui monte. Ils t’en veulent mais tu ne sais pourquoi. Ils te questionnent mais tu n’as pas les réponses. Ça les met hors d’eux. Tu suffoques soudain sous la morsure cuisante d’une gifle, puis une autre. Quelqu’un agrippe ton T-shirt. Étrangement, tu te demandes si ses mains sont propres. Croc-en-jambe, tu es par terre. La forêt de jambes s’élance vers toi. Les coups de pieds font éclater tes lèvres. Ton cerveau ne réalise toujours pas. Quand le premier coup de latte te dévisse l’épaule, tu hurles, comme une bête.
Ils s’arrêtent, comme effrayés, puis, pressés de ne plus entendre ce son guttural, ils rouent l’adolescent de plus belle. Barres de fer, lattes, coups de pieds, pierres, la foule grossit, chaque nouvel arrivant écarquille les yeux en forme d’interrogation, reçoit une réponse rapide : « c’est un voleur » avant de se saisir d’une pierre et de l’écraser sur les chair éclatées et ensanglantées de la boule remuante qui n’a plus d’humain qu’un regard voilé par le sang de la perfidie qu’on lui prête.
Soudain, ils s’écartent. Un malabar redresse ce qu’il reste de toi. Il te lave le visage. Tu craches l’eau qui coule à travers tes dents cassées, mais tu réalises soudain, qu’il ne s’agit pas d’eau, mais d’essence. La seconde d’après, un vieux pneu en guise de parure mortuaire, tu t’enflammes comme une torche au milieu des cris de joie et des sirènes fatiguées de la police qui s’est enfin décidée à répondre aux multiples appels apeurés qui l’ont prévenue que quelqu’un se faisait tuer.
Ta dernière vision est un panache jaune, mais il ne s’agit pas du portail de ta belle, mais de la flamme qui consume tes chairs et grille la vie en toi. Une oraison, prononcée par le malabar: « On va vous traiter ». Déjà tu ne l’entends plus…
Cette histoire m’a été racontée par ma mère. J’étais un gosse à l’époque. C’était horrible, mais je ne réalisais pas. Le gamin était le fils d’une connaissance à elle, un ado, qui avait eu le malheur de se perdre dans un quartier qu’il ne connaissait pas. Mais le pire c’est qu’il était sourd-muet et sa tentative de s’expliquer avait été perçue comme une ruse de voleur. Il a été lynché et rôti en plein quatorze heures. Sa mère l’a identifié grâce à ses baskets… Un cadeau récent, des Jordan d’occasion…
J’ai longtemps pris tout cela pour de la science-fiction gore. Jusqu’à ce qu’un matin, des années plus tard, en allant au campus, je tombe sur une scène de lynchage. Oui, à cent mètres de mon domicile, un jeune homme se faisait lyncher. Un « voleur qui avait tenté de s’introduire dans un domicile où il y avait déjà eu plusieurs coups de vols ». J’ai vu mes voisins, des passants, des travailleurs se transformer en tueurs. J’ai entendu des os se briser, des chairs éclater, j’ai respecté la résistance d’une charpente humaine.
Puis j’ai vu mon voisin, M. Edouard, un type calme et sympa, arriver avec un énorme clou et un marteau. Je ne l’avais jamais vu bricoler. Mais devant mes yeux horrifiés je l’ai vu planter le clou dans le crâne du jeune homme, sans hésitation. Je me suis sauvé, traumatisé.
Les avis sont partagés sur la question. Les défenseurs de ces tueries, les justifient par le recul de la justice et posent les lynchages en solution finale au banditisme, les bavures étant classées dans la case « dommages collatéraux ».
Personnellement, c’est la transformation d’un individu normal en exécuteur qui me fait froid dans le dos. Ces individus lambda qui sortent de chez eux le matin pour aller quêter une pitance hypothétique. Ces gens qui à un détour du chemin tombent sur un jeune homme se faisant tabasser et qui comme ça, par un esprit grégaire de meurtre, de vengeance ou de défoulement se joignent au sabbat.
Ces pères de famille, ces mères au foyer qui transforment pilons, bouteilles de bière en armes blanches pour écraser des membres, des crânes au nom de la justice; qui évacuent les frustrations d’une vie misérable par le meurtre de sang-froid, m’inquiètent plus que l’insécurité proprement dite.
Et nous qui fermons les yeux en normalisant ces atrocités, nous réveillerons un jour. Quand dans un contexte différent, les hordes de bendskinneurs, aujourd’hui grands rôtisseurs devant l’Éternel et dont les hauts faits d’auxiliaires de justice sont cités en exemple; quand ces bensdkinneurs se transformeront en escadrons de la mort ôtant la vie pour un regard mal placé, nous nous réveillerons, mais assurément, il sera trop tard.
La banalisation de la vie ou de la mort, c’est selon, accouche toujours de drames sociétaux. L’histoire est formelle.
Peace !
Billet rédigé en hommage à un frère ghanéen, le capitaine Maxwell Adam Mahama et à tous les « innocents » et « criminels » morts sous les coups de ce que la bêtise humaine, vêtue des oripeaux de l’assassinat qualifie de justice populaire.
Re-Peace!
Littérairement de toute beauté. Humainement horrible.
Mince alors.
Ma soeur et moi avions malheureusement assisté à une scène identique ou le pauvre supposé voleur avait fini brûlé entouré de pneus nous avions 8 et 10ans et je n’oublierai jamais cette impuissance devant cette situation horrible
Je crois qu’effectivement, tout autant que la barbarie d’une telle scène, le sentiment d’impuissance qui s’abat sur le spectateur est tout aussi lourd. Malheureusement il est souvent dangereux de se poser en défenseur du supplicié. Dans ces moments là la raison fout le camp et certains « courageux » ayant osé s’interposer ont souvent manqué de se faire lyncher eux aussi.
« La banalisation de la vie accouche toujours de drames sociétaux. » J’ai perdu un ami ainsi, trop cruel l’homme. J’espère que le plus grand nombre prendra conscience avec tes écris!
Merci Florisn.
Merci à toi.
Comme beaucoup de camerounais , j’ai malheureusement assisté a des scènes de lapidation , puisqu’il s’agit de ca. c’est traumatisant
et ce sentiment d’impuissance face a la foule excité à l’idée de tuer quelqu’un, de voire bruller quelqu’un…je comprendrai jamais comme on peut se rejouir d’une telle chose
Le papa d’une amie d’enfance avait un matin scié la main d’un « voleur « , un monsieur pourtant d’un naturel passif. Le voleur en question avait volé quoi? : des babouches de sortie d’une voisine et qui ne coutaient que 5ooo FCFA.
Euye! Scié???
Nous sommes malheureusement devenus tous dès zombies à apparence humaine car je ne peux pas comprendre que ces scènes horribles auxquels assistent souvent des enfants n’interpellent personne. J’aimerais bien que les anthropologues de chez nous nous expliquent les causes de cette déshumanisation de nos frères
Il y a un moment que je n’ai pas lu quelque chose de si bien écrit. Poignant. Profond. Vrai
Narration lyrique d’une drame humain et d’une tragédie sociétale. La beauté du texte renforce l’horreur d’une réalité quasi quotidienne sombre et banalisée de nos villes. Mais on peut s’interroger : De quoi cette violence aveugle de la foule anonyme contre des personnes esseulées, et donc faibles,est-elle le stigmate ?
Je n’ai hélas pas réponse à tout et suis tout autant curieux de trouver les causes de cet état de choses.
Pour le français, RESPECT!
je n’ai plus faim
Belle plume ! Même en dépeignant les atrocités et les horreurs, on est séduit par la dextérité symphonique du « conteur ». On serait presque tenté d’éprouver de la joie à lire n’eussent été les scènes décrites.
Belle écriture, d’un phénomène Pour le moins cruel, insensé.
Ça me rappelle l’oeuvre de Victor Hugo, »Le Dernier jour d’un condamné »
Vivement que les gens soient conscientisés.
Peace
Merci Florian
RePeace ?✌
Belle plume vraiment!à force d’en parler les gens vont finir par prendre conscience de la position de meurtriers que ceux qui se décident subitement Justiciers prennent en massacrant inhumainement leurs prochains!
Il faut plus de textes comme celui-ci et si tu pouvais le traduire en Anglais ca ferait du bien à nos freres ghanéens éprouvés par l’assassinat du jeune Maxwell Mahama.
Two thumbs up to your article
j’ai tellement, petite, assisté à des lynchages que je ne ressens plus rien. Des fois en passant, je vois un linceul blanc recouvrant un cadavre sur le bord de la route. Un bout de corps calciné déborde. Des gens crachent, horrifiés. Mais moi, je dis « ah » et je continue ma route comme si je n’avais rien vu. Et un passant de me demander si ça ne me dit rien de voir un cadavre, qui plus est brûlé. Et moi de lui répondre : « grand frère, je suis née et j’ai grandi à Bilonguè à Douala. Tous les jours, on découvrait 2 cadavres dans le secteur, de gars lapidés dans la nuit. Je ne ressens plus rien et ça me désole. »
Je déteste vraiment ce que ces « lapideurs » ont fait de moi. Cependant, ton texte m’a stoppée pour m’obliger à laisser ce commentaire; preuve que je ne suis devenue inhumaine.
Merci Florian!