Il y a quelques jours, Yaoundé a accueilli la réunion élargie du bureau exécutif du Conseil National des chefs traditionnels du Cameroun. Gaspillage de mots pour dire que les chefs traditionnels de toutes les aires culturelles du pays se sont réunis aux frais du contribuable.
Dans les faits, cette assise des grandes familles de la Cosa Nostra locale autour du consigliere Atanga Nji n’était qu’un trompe l’oeil. Le but et résultat concret de ce bal de colifichets chinois étant la signature d’une déclaration de soutien à la candidature du Capo di tutti Capi Paul Biya à sa succession en 2025.
Ave Biya ! Ceux qui vont manger te sucent
L’évènement n’est pas nouveau hein… Il est même tristement banal.
Sauf qu’en cette ère pré-électorale où la colère semble gagner de nombreux camerounais, il ne passe pas. Notamment auprès de la génération Z appelée à voter pour la première fois cette année et qui découvre la profondeur du bourbier électoral camerounais et les acteurs/fossoyeurs chargés de l’entretien de ces ornières.
Beaucoup découvrent qu’au-delà du laïus sur leur rôle de gardiens de la tradition, de phares de la gouvernance locale ou d’arbitres des conflits communautaires, les chefs traditionnels sont des auxiliaires d’administration, sous la tutelle d’un ministre de l’administration (et des élections) qui leur verse des émoluments depuis la réforme de 2013.
Ils découvrent que la royauté n’est pas forcément de droit divin, que l’accession au trône se détermine très souvent via les accointances avec les djinns du MINAT (préfet, sous-préfet, gouverneur) et non par le truchement des ancêtres, démunis en face de la puissance de l’autorité publique et du billet made by BEAC.
Ils apprennent que Rois, chefs, lamidos, Fons, Sultans, légitimes ou pas, sont amoureux de leurs trônes au point d’adopter le bleu RDPC comme couleur de leur blason moral, parfois de générations en générations.
Mais, dans les faits, quelle est l’importance d’un chef traditionnel dans la stratégie de conservation du pouvoir propre au RDPC en 2025? Tentative de réponse.
Le couteau suisse de la tyrannie
La plupart des observateurs pointent le poids moral sur la société. Les défenseurs de leurs Majestés minimisent cet impact au nom du libre arbitre. Il est vrai que la puissance d’un chef traditionnel varie selon l’ère culturelle. Chez moi en Sanaga Maritime elle est pour ainsi dire anecdotique. En effet, certaines sociétés précoloniales étaient de fait centralisées autour de potentats, d’autres plus décentralisées. Dans ces dernières, la chefferie a été renforcée voire créée par les colons allemands aux fins de noyauter et mieux asservir. Stratégie renforcée par les français, épousée par Ahidjo, reprise et améliorée par Biya.
Peu importe son aire de « pouvoir » le chef traditionnel moderne a su se réinventer et tandis que la plupart se focalisent sur ce pouvoir moral, les monarques ont tissé avec le pouvoir de Yaoundé un partenariat gagnant-gagnant qui fait d’eux un outil multifonctions dans la stratégie d’une des plus vieilles dictatures d’Afrique.
Courroie de transmission
Le monarque est une courroie de transmission importante entre les populations et l’élite admistrative et politique dont il fait souvent partie. Lorsque les ndjim tétés de Yaoundé veulent consolider leur assise villageoise, il est crucial que sa Majesté soit consultée. Dans la guéguerre perpétuelle qui anime ces vampires déguisés en hommes d’affaires, bienfaiteurs et autres philanthropes, sa Majesté a son mot à dire. Dans ce Cameroun à la gestion tribalo-ethnique, lorsqu’Etoudi veut un homme du cru dans la mangeoire, le chef est consulté. De fait, certains chefs traditionnels participent à la définition de la couleur politique des représentants du peuple dans la mangeoire. Si certains candidats sont capables de court-circuiter cet avis, l’exercice n’est pas conseillé.
VRP
Le chef traditionnel est un VRP du Renouveau. Mais attention, un VRP exclusif, car tu ne serviras pas Jehovah et Mami wata. Il a la responsabilité de démarcher les oligarques natifs de son unité de commandement. Le but: en faire de bons petits soldats du Renouveau. La finalité, des cotisations spontanées, des dons en espèces au Parti, surtout durant les campagnes électorales. Sans parler de l’apport en réservoir de voix. Impossible quand on est riche de se cacher au village ou en ville. Arrive fatalement ce jour où un reçoit une convocation déguisée en invitation: le chef veut te voir.
Là encore, il est déconseillé de résister. Dans le Renouveau, existe l’effet papillon: le refus de militer/cotiser pour le grand Parti peut entrainer le réveil du sous directeur lambda d’un centre des impôts et partant, une rafale de redressements anticipés, sans possibilité de moratoire.
Humanitaire
Peu de gens le savent, mais les chefs traditionnels sont également des officiers humanitaires. Il n’est pas rare qu’en période de cyclone électoral, des chefferies abritent l’aide humanitaire destinée aux sinistrés du cerveau et de l’estomac, fruits de la gestion calamiteuse du Cameroun: Pain, sardine, huile, riz, bière, sodas…
Certaines chefferies sont des clones de la Maison du Parti, quand elles ne jouent pas les deux rôles. Ce sont des entrepôts détaxés. La présence de la bannière étoilée sur le frontispice des bâtisses renforce d’ailleurs la sensation d’exterritorialité et d’immunité dont les mauvaises langues disent qu’elle sert beaucoup lors des scrutins. Ces mêmes langues prétendent que pendant ces scrutins on peut y retrouver urnes, matériel électoral et même bureaux de délivrance de cartes d’identités.
Agent de sécurité
Une autre corde à l’arc déjà plein de cordes du chef traditionnel est sa capacité à assurer la sécurité sur son territoire. Quand on parle de sécurité, il ne s’agit nullement de chasse aux microbes ou autres délinquants. Non, le chef s’assure que les directives du Minat quant à la protection de la paix et de la sécurité du grand Parti sont scrupuleusement observées. Ainsi, il vérifie l’application des interdictions de marche dont l’itinéraire passerait par son unité de commandement. Dans le cas où les ennemis du Régime s’entêteraient, il fournit des supplétifs aux forces de police, des nervis chargés comme après le scrutin de 2018, d’aider la police à capturer les manifestants.
Il assure également la sécurité préventive. Certains se demandent encore comment certains militants et sympathisants du MRC ont pu être traqués et arrêtés au fin fond des quartiers pour avoir simplement rêvé de manifestations et marches blanches. Le mérite aux services de renseignements des chefs de 3ème degré, fidèles collaborateurs de la police et leurs agents de liaison, les fameux « indics » qui flairent les atteintes à l’ordre rdépéciste avant même qu’elles aient lieu. Minority report, made in Cameroon…
Ecrivain public
Les chefs sont de redoutables pamphlétaires qui n’hésitent pas à tremper la plume dans l’encre quand le besoin se fait sentir. L’occasion n’est pas la crise alimentaire, ni la paupérisation, encore moins la corruption généralisée qui assomme les leurs victimes de l’administration. Non, quand un chef traditionnel sort sa plume c’est pour recadrer les opposants, ces experts en dérapages qui confondent hospitalité et laisser-aller et osent s’attaquer au monolithe impérial d’Etoudi.
A ce jeu, nos chefs ont carte blanche. Xénophobie assumée, tribalisme crasse, appel à la haine, ils disposent d’un arsenal de mots pour raviver la flamme des sentiments les plus odieux de notre société. Un pseudo nationalisme qui parle à leurs populations toujours en quête de boucs émissaires. Un jeu dangereux, jamais épinglé par les autorités compétentes.
L’arsenal de compétences de nos garants de la tradition est plus étendu, mais bon, je ne vais pas épiloguer dessus.
La seule issue positive de ce Conseil des Kage du pays de la Sardine est la polémique. Une polémique qui démontre qu’aujourd’hui plus qu’avant, il y a l’émergence d’une conscience du caractère dangereux de ceux qui nous dirigent d’une manière ou d’une autre. Supporter le Renouveau est criminel. Il s’agit d’une affirmation factuelle, basée sur l’état de notre pays, le nombre de morts de la malgouvernance et de la souffrance induite par le fait de vivre sa camerounité en 2025.
Le seul bémol de ce rassemblement de faux sages est la non invitation de notre Ntumfor national. C’est comment? Sardinard pour sardinards, c’est le meilleur d’entre eux, ou bien?
Peace!