J’ai découvert le bar de Mengue en effectuant une de mes banales campagnes de spéléologie bacchusienne dans les tréfonds de Yaoundé. Je déteste et fuis les gigantesques et bruyants “snacks” à la déco chinoise tape à l’oeil. Ce modèle économique des mbenguistes en mal d’investissement et lave-linge du fric sale de la pègre locale n’a pas d’âme. Je n’ai jamais compris le besoin de mes compatriotes de se ruiner en ingurgitant du whisky contrefait, vendu à prix d’or dans un décor saturé de décibels.
Je préfère le barreau, le petit bar de quartier. Sale, déglingué, ne payant pas de mine. Intimiste, vrai et surtout peuplé d’une faune pittoresque que vous découvrirez dans les nombreuses chroniques qui constitueront cette fresque.
Situé à quelques encablures de mon domicile, le bar de Mengue est une masure faite de bric et de broc. Des tôles ondulées du bois et du contreplaqué en recyclage permanent.
En passant devant chaque soir, j’ai tout de suite été frappé par l’animation du lieu, presque toujours plein.
Un soir, j’ai donc écarté le rideau de bouchons métalliques enchâssés sur des ficelles et commandé la première d’une longue série de Kadji.
Mengue
A peine mes yeux tombés sur Mengue, je compris que je venais, de mon plein gré de signer le formulaire d’adhésion à la secte de ses adorateurs.
Mengue est une liane déliceuse au regard. Une espèce d’oeuvre d’art modelée avec soin par la création. Une peau claire, presque jaune taxi, doucement tempérée par le taux optimal de mélanine. Des hanches d’hétaïre, africanisées dans leur prolongement par deux rondeurs auxquelles il faudrait trouver un autre nom que le vulgaire mot “fesses”. Et ses jambes…
L’évocation de ces deux fuseaux recouverts d’un superbe duvet marron, me rappelle une anecdote.
Celle d’un bassaa qui se rendant pour la première fois à Yaoundé, tomba sur un des nombreux contrôles mixtes à l’entrée de la ville. Vous savez, ces nombreux policiers, gendarmes et militaires qui jouent la comédie de la lutte antiterroriste. Des bidasses dont la véritable activité est d’arnaquer leurs compatriotes sous des prétextes souvent ubuesques: défaut de carte d’identité, possession d’un passeport au lieu d’une carte d’identité, absence de carnet de vaccination COVID etc.
A la vue des nombreux hommes en tenue, le bassa’a qui n’en avait jamais vu autant dans son bled sans eau ni électricité, de demander à son voisin de boîte de sardine:
– Sambaï! On est déjà à Yaoundé?
– Non magnan! On est seulement à Mbankomo.
Et le vieillard de s’exclamer: A Nyambè! S’il y a beaucoup de policiers comme ça à Mbankomo, à Yaoundé ce sera comment???
Oh oui! En ayant un aperçu de la pilosité des jambes de Mengue, l’esprit tristement pratique du mâle que je suis ne pouvait que s’interroger sur la luxuriance de la forêt au dessus. Ou au milieu, c’est selon.
Mon beau tu bois quoi? Mengue me sourit et je frise l’impolitesse, subjuqué par la légère fente entre ses incisives supérieures. “Mon beau”? Mon coeur loupe un battement car Je suis loin d’être l’Appollon que le lecteur pourrait s’imaginer. Puis, je comprends: “Mon beau”, dans la bouche de Mengue, est une appellation générique accolée à tous les portefeuilles sur pattes qui fréquentent son établissement. Personne ne m’a restitué le battement de coeur gaspillé.
Je m’attable. Maguy il y a un client!
Au cri de de Mengue, une liane déboule et se plante devant moi en ignorant mon bonjour.
La Blanche
Maguy est l’antithèse de Mengue. Autant la première sent le raffinement, même roturier, autant la seconde dégage tout de la rombière de base. De celles qui hantent les nkanè d’Ekounou. Sa peau délicatement foncée est la seule touche qui rehausse son physique d’une banalité affligeante.
Au milieu du mâchouillement d’un antique chewing-gum je l’entends marmonner un “tu bois quoi?” agacé.
Sympa l’accueil. Elle note mentalement mon envie d’une Kadji non glacée et disparait derrière le comptoir.
Je saurai plus tard qu’elle est la “soeur” de Mengue et hormis elle, personne ne l’appelle Maguy.
En effet, par référendum, les clients l’ont surnommée La Blanche. Vu la couleur de sa peau, le lecteur pourrait penser à une blague raciste comme il s’en fait sous des cieux plus cons. Que nenni! Elle doit ce pseudonyme au déficit abyssal de fesses qui la caractérise. Maguy a le derrière aussi plat qu’une assiette et dans l’anthropologie nègre, c’est bien connu, il n’y a pas plus plat que le derrière d’une Blanche. Je l’ai dit, ce n’est pas du racisme, juste de l’anthropologie. Perso, à une lettre près, j’aurais voté pour “La Planche”… Mais bon, La politique aux politiciens…
Je remarque vite que le bar obéit à une configuration précise. Au fond, légèrement en surplomb, trône Mengue derrière une table spéciale. La seule recouverte d’une nappe propre. Y sont étalés ses livres de comptes et deux énormes smartphones qui sonnent régulièrement. Aucun client, ou presque, n’a le droit de s’y asseoir sans une invitation de Mengue.
Les fonctionnaires, reconnaissables à leurs costumes de seconde main, chinés à l’Avenue Kennedy occupent le centre. Dans la périphérie, engoncés dans d’épais blousons fleurant le bouc en rut, règnent les bendskinneurs, cette engeance à deux roues abonnée aux bières les moins chères.
Ce n’est ni la fraîcheur de sa bière ni le cadre (a)typique qui attire ce public, majoritairement masculin, c’est Mengue. Le bar de Mengue c’est Mengue. Tout en ingurgitant les 65cl de leurs bières Made in Yaoundé by les Brasseries du Cameroun de Pierre Castel, les courtisans quêtent un regard, une parole, une attention de l’objet de leurs fantasmes.
Le bar de Mengue est au centre d’une grogne sociale dans le quartier. La gent masculine du coin, les bangala-sur-pattes, y fait invariablement escale à la sortie des champs de cotton modernes et sous le prétexte de se rafraîchir, ces gagne-petit se délestent de précieux CFA, monnaie de singe coloniale nécessaire à la tenue de leurs foyers. On ne compte plus les salaires, les pensions, les crédits scolaires, les recettes et autres épargnes ou gain au Parifoot qui y ont fondu au contact du doux sourire de la propriétaire.
Autant elle est adulée par les mâles, autant la gent féminine du quartier voue une haine puissante à la jeune femme. Une haine jusqu’ici stérile, car superbement ignorée par Mengue. Qui tient la corde tient le mouton et n’a que faire des cris de la chèvre dit le proverbe.
Cycliquement, ces femmes en colère lancent des attaques ciblées contre le bar et sa propriétaire. Ce combat est d’ailleurs le fil rouge de cette narration et vous verrez qu’il peut aller loin. Dans un prochain épisode, je vous raconterai comment des SCUD kongossiques ont plu sur Mengue, insinuant que la belle trempait ses culottes dans son bouillon pour envoûter magiquement ceux qui le buvaient. Une rumeur à laquelle un des grands consommateurs du breuvage a répondu par un pragmatique: “on vient ici parce qu’on veut baisser son caleçon, si elle trempe ça dans le bouillon, nous quoi? c’est l’avant-goût!”. Fin du spoiler.
Le fameux bouillon aux caleçons de Mengue est une institution. J’y ai goûté. Il s’agit d’un jus de chaussettes proprement insipide. Rehaussé par un énorme morceau de jarret, en réalité un quintal d’os, revêtu de quelques grammes de viande nerveuse. Il est servi avec un énorme bol de piment qui de facto anesthésie les dernières papilles épargnées par la bière. Sa réputation a pourtant franchi les limites du quartier et bien que vendu à prix honteux, sans réservation, on est presque certain de ne jamais en avoir. Je ne lui connais qu’un concurrent: le bouillon du bar Le Coeur à Mvog Ada, un autre jus de chaussettes que je vous conseille d’éviter si vous êtes sobre.
PZ
Le dernier pilier du bar de Mengue est PZ. De son vrai nom Ateba, PZ est un bel éphèbe agréablement bâti. Ce physique avenant qui tranche avec les amas graisseux et les silhouettes bedonnantes qui hantent le bar lui vaut la détestation cordiale des clients de Mengue. Homme à tout faire, il est videur, maître de la télécommande du téléviseur, technicien de surface, mais plus important, il est le seul mâle à pénétrer la surface de réparation de Mengue dont il réchauffe le lit. En réalité, c’est cette dernière fonction qui lui vaut la haine des clients/soupirants de Mengue.
Son surnom PZ (Petit Zizi), lui vient d’une attaque sournoise de cette clique, décidée à noyer sa frustration dans le dénigrement de l’amant en titre. La rumeur d’après ceux qui la répandent viendrait d’une source sûre. Un ancien camarade de collège de PZ, qui, pour s’être baigné plusieurs fois en sa compagnie dans une rivière de leur village natal, soutiendrait que le bangala de PZ a la taille d’un asticot.
Avec le sens de la répartie qui la caractérise, Mengue, a répondu à la polémique: qui vous a dit que c’est son bangala que je cherche? Il me lèche bien et je jouis. Depuis cette phrase choc, il n’est pas rare d’observer des serrements de dents et de fesses -moins visibles- chaque fois que PZ se pourlèche les lèvres en savourant une 33 Export.
A vos ordres mon commissaire!
Autant le dire, ce premier soir chez Mengue a failli mal se passer. Ma bouche qui, sur certains sujets, ignore l’utilité pratique du frein à main a bien failli m’envoyer chez les ancêtres.
Tout commence par l’arrivée de Comiss (avec un M), un commissaire de police, abonné de Mengue et qui y a établi son World Trade Center. Le soir, le quidam, en tenue, y traite toute sortes d’affaires sombres, au vu et au su de tous. Accélération de procédures, trafic d’influence, entorses au code de procédure, délivrance de papiers administratifs qu’il tamponne parfois entre deux gorgées de bières, le ripou monnaye et se permet tout. Toujours flanqué de son énorme talkie-walkie qui débite plus les recommandations de restaurants où “on vend le bon taro à Yaoundé” que les alertes liées à sa fonction, Comiss est un personnage pansu et fessu qui compense sa laideur (oui laid c’est laid) par les cinq étoiles jaunâtres de ses épaulettes. Il est craint, notamment par la horde de bendskinneurs qui fréquente le bar et lui sert un “Mon commissaire” aplaventriste et obséquieux.
Une mise en contexte est nécessaire.
Considérant la galère pour établir un malheureuse carte d’identité ou son pouvoir à initier une interminable garde à vue sans avoir de comptes à rendre, le commissaire, dans l’écosystème camerounais est un personnage important. Chez Mengue, il est l’une des rares personnes à pouvoir décider PZ, maître de la télécommande, à changer de chaîne sur Bolloré TV. Ho! PZ, mets le match du Réal, tu as vu les bandits ici pour regarder le match du Barça?
Qu’on s’imagine donc le contexte: après son entrée dans le bar, ponctuée de courbettes, son installation à la table princière de Mengue, Comiss engage un monologue sur “ces jeunes qui ne respectent pas leur président et se permettent de le dénigrer sur les réseaux sociaux”.
Comme tous les puissants dans ce Cameroun, il parle fort et n’attend aucune contradiction, quand soudain, mon esprit embrumé par les Kadji se rallume.
Paul Biya c’est qui? Il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, mais on ne peut plus se plaindre? Lui là, il nous respecte quand?
Silence glacial.
Je sens les bendskinneurs à deux doigts d’applaudir, mais j’ignore s’ils veulent applaudir mon audace ou mes obsèques à venir. Dans cet Absurdistan, beaucoup ont été interpellés pour bien moins.
Comiss: Tu as dis quoi?
Le silence s’appesantit. Le poste de télévision se met automatiquement en mode “mute”, à moins que ce soit l’œuvre de PZ.
Mon bon sens me conseille de revenir sur mes paroles, mais le chemin retour est long surtout que tous les regards sont rivés sur moi. Le vin est tiré il faut le boire et même si je pressens que le palmier sera difficile à avaler, je préfère mourir en fier babimbi, baguette de soya dans une main, Kadji dans l’autre.
Je répète mon propos.
Les clients se cachent derrière leurs bières. Les bendskinneurs cherchent s’imaginaires arraignée sur le plafond de tôle rouillée.
Petit, tu peux encore répéter?
Comiss est debout. Un pistolet décati pointe à sa hanche. Euye! Je n’avais pas prévu ce détail. Je me demande si je peux miser ma vie sur le fait que, comme leurs voitures qui n’ont jamais de carburant, les armes des policiers camerounais n’ont jamais de balles. En un éclair, je visualise l’épitaphe de ma pierre tombale: « Les paris stupides, un certain Florian Ngimbis ».
Mentalement, je calcule la probabilité de réussir à le toucher avec ma bouteille avant qu’il ne troue ma carcasse. Le résultat affiche un inquiétant “ERROR!”.
Je me lève, la Kadji à la main. Il ne sera pas dit que Florian Ngimbis, deuxième du nom, est mort assis.
Wèèèèèè mon petit, répète non? Ne me perds pas le temps.
Ma bouche esquisse des mots, mais mon cerveau, coincé en mode instinct de survie, bloque leur formulation. Il me murmure: Mon frère, tu veux mourir au bar à cause du nom de Biya? Tu n’as pas pitié de ta mère?
Alors que mon courage et mon charisme s’enfuient à tire-d’aile, c’est Mengue qui vient à ma rescousse.
Comiss! Laisse le gars d’autrui tranquille, viens t’asseoir on a un dossier à gérer. Et toi mon frère, on ne cherche pas les problèmes dans mon bar hein… Va boire!
Le visage luisant de graisse de Comiss tremble de colère rentrée, mais il se domine et obéit à l’ordre de Mengue. Je lis dans son regard une promesse silencieuse, faite de coups de machettes sur la plante de mes pieds, dans une cellule sombre et humide.
Alors que je me rassois, un bendskinneur me chuchote un prudent “mon frère, il est au huitième, même pour faire le marché, ne passe pas là bas.
Premier jour chez Mengue et je viens de me faire mon plus solide ennemi.
Je compense en me disant, qu’au moins, Mengue m’a à la bonne, mais comme je l’apprendrai plus tard, si elle m’a sauvé des griffes de Comiss, c’est pour la simple et unique raison que je n’avais pas encore réglé l’importante note des Kadjis que je venais de consommer.
A Yaoundé, les vivants ont de la peine à payer leurs leurs factures, alors les morts…
A venir dans l’épisode 2: Une blanche chez Mengue, ou comment une européenne est venue boire les bières chez Mengue et les tristes évènements qui s’en sont suivis parce qu’elle avait des rastas, ou un truc y ressemblant.
Peace!
Vraiment chapeau, je lis toujours tes récits avec le dictionnaire à côté.
« Mon frère, tu veux mourir au bar à cause du nom de Biya? Tu n’as pas pitié de ta mère? » hahahahahaha. Mon cerveau et moi un jour vers Mfou, en 2019. Les fonctionnaires camerounais font comme si la disparition du president Biya un jour leur fera perdre leur travail.
Bro respect peace and l9ve