Fond sonore: DJ Cerveau – Ne tente pas (écoutez le son!)
Au Cameroun, L’organisation d’un mouvement de protestation à grande échelle est presque toujours un spectacle curieux. Curiosité liée à la rareté de telles initiatives mais surtout aux polémiques stériles portant généralement sur l’opportunité, la justesse, les méthodes, la légitimité des meneurs du mouvement.
Pour avoir organisé un boycott de l’opérateur Orange Cameroun en 2018, j’ai découvert l’envers d’un décor dont je parlerai dans un prochain papier.
Mais mon expérience de l’organisation de mouvements de désobéissance civile et de protestation à la camerounaise date d’avant cet épisode et elle est plutôt… cocasse. Embarquez, je vous raconte.
Quelques années avant l’orangeade #OrangeIsTheNewMafia je me retrouve contraint de déménager. Le nouveau quartier me plaît. Calme sans être tristounet, animé sans être chaotique, il se situe à cinq minutes du centre ville. Dans une ville sans régie de transports publics, ça compte.
Le vendredi suivant, pendaison de la crémaillère de mon nouvel appartement. J’invite M. douce liane musulmane me dépassant d’une tête et demi. Soirée magique durant laquelle nous nous employons, avec une ferveur jubilatoire, à commettre tous les péchés de sa religion. Le point d’orgue, une nuit enflammée dans mon lit neuf, fleurant encore le vernis de son menuisier-créateur d’Olézoa.
Au petit matin, après l’abandon de mon corps malaxé comme du foufou, M. essaie de prendre une douche.
Ékié! Ngimbis! on a coupé l’eau chez toi?
On est à Yaoundé madame, il n’y a que Paul Biya qui a l’eau en continu hein…
Elle s’en va, dépitée. Je passe la journée alité, à cuver, insensible aux émanations de mon corps qui porte encore l’empreinte olfactive de la nuit de stupre.
Le lendemain matin, toujours pas d’eau et les effluves se sont transformés en fragrance de bouc en rut. Il faut agir.
Arrakis
Une enquête de voisinage titrée “Voisins, vous faites comment quand on coupe l’eau?” m’apprend l’existence d’un puits en contrebas de la rue.
Je fais connaissance avec le propriétaire des lieux, un dictateur capitaliste rondouillard qui, après m’avoir fait payer sans même répondre à mon bonjour, s’assure, planté dans mon dos, que je ne gaspille pas son eau. Parce que hein “on ne rince pas les seaux au puits”…
Le puits, miroir de la phallocratie de la société camerounaise. Que des femmes et des enfants assignés à la corvée de l’eau. Ne disposant pas de femelle corvéable à merci, je suis un des rares mâles adultes fréquentant le lieu. Une situation que je n’aurai pas le temps d’apprécier, vu que dans un futur proche des évènements objet de cette narration, le dictateur allait me blacklister après avoir assisté à une scène cauchemardesque. Une scène durant laquelle une de ses filles, une liane plantureuse de vingt ans à qui je n’avais rien demandé, effectua devant moi une fugace et provocatrice ouverture-fermeture des guillemets de son pagne sous lequel elle ne portait… rien. Fermons là la parenthèse et revenons à nos seaux.
Quatre jours après le bain salvateur, toujours pas d’eau. Peu enclin à augmenter le PIB de la famille du dictateur-capitaliste-vendeur d’eau et surtout affronter la distance un seau à bout de bras, j’en suis à user de subterfuges peu glorieux pour garder une apparence décente au travail. J’ai l’impression de résider à la cour odorante de Louis XIV ou sur Arrakis, planète des Fremens, où chaque goutte d’eau vaut son pesant de vie.
Après une semaine de torture, deuxième enquête de voisinage titrée “mais je dis hein voisins! L’eau ne coule jamais dans votre quartier-ci?”.
A l’issue du sondage, j’apprends des choses: à Yaoundé capitale à plus de quatre millions d’habitants, il y a les quartiers avec plus ou moins d’eau courante, c’est à dire des coupures plus ou moins nombreuses, mais la garantie qu’elle ne “part” jamais longtemps.
Puis, Il y a les quartiers sans adduction d’eau. Souvent la périphérie, dont les habitants ont fait contre mauvaise fortune profonds forages et se sentent presque heureux d’avoir constamment à disposition cette eau de nappes, hélas de plus en plus polluées.
Enfin, il y a les autres, les quartiers avec des adductions, des éviers, des colonnes de douche et des robinets mais dont l’utilité a presque été oubliée vu que l’eau a définitivement déserté les tuyaux, sans mention d’une date de retour. Le mien appartient à cette dernière catégorie, à une exception près: la sécheresse date d’il y a quatre ans.
J’apprends que certaines nuits, l’eau revient en pèlerinage dans les conduits. Le miracle se passe entre deux et trois heures du matin, pendant environ une heure. Créneau de sorcellerie durant lequel les honnêtes gens suspendent leur sommeil pour remplir ustensiles et contenants.
J’essaye d’intégrer le process, mais ma vie nocturne soutenue me fait rater plusieurs rendez-vous. Ironie du sort, un soir, je frôle de peu le dégât des eaux pour avoir laissé le robinet ouvert en prévision d’un retour du liquide précieux. J’abandonne.
Difficile de compiler les chiffres exacts de la fourniture en eau potable et assainissement au Cameroun. Ceux officiellement présentés paraissent fantaisistes et biaisés comme toute évaluation chiffrée dans un pays souffrant du cancer de la malgouvernance. Néanmoins l’indicateur le plus fiable de la crise est le court séjour privé qu’effectue chaque année le vibrion cholérique en terre camerounaise, séjour à l’issue duquel il emmène, à leur corps défendant, plusieurs dizaines de nos compatriotes se réchauffer près du feu primordial des ancêtres.
Après moult déconvenues, j’entame une troisième enquête de voisinage: “mais je dis hein voiz! Depuis quatre ans que cette situation perdure, personne n’est allé se plaindre?”.
Pour seule réponse, les regards de mes interlocuteurs laissent transpirer le résigné “on va faire comment?” que je ne connais que trop bien.
Agence de La Camerounaise Des Eaux du secteur
Je dis hein! Tu dis que tu veux voir le chef d’agence pourquoi?
Engoncé dans son uniforme jaune sauce jaune aux épaulettes marron taro, le vigile semble estomaqué par ma demande. Il me la fait répéter.
– Mon quartier n’a pas d’eau depuis quatre ans.
-Vous ne recevez pas les factures?
-Si, mais c’est l’eau qu’on ne reçoit pas. Ou presque, vu qu’on reçoit quand même les factures d’entretien des compteurs…
Front plissé, lèvre tordue, il essaye d’assimiler.
« Et le problème du chef d’agence là dedans c’est quoi? On t’a dit qu’on dérange un chef d’agence comme ça? »
J’ignore ce qui m’agace le plus, le tutoiement spontané ou la déification d’un chefaillon qui doit le récompenser en le laissant laver sa voiture en fin de vie importée d’une Europe tout aussi mourante.
Afin de canaliser mon insistance, je suis finalement orienté vers un “responsable technique”. Man beti, chaud gars bedonnant, engoncé dans un costume hors mesure made in Avenue Kennedy. Il n’a pas de temps à perdre. Le verdict tombe rapidement: c’est un problème général.
Le « problème général », l’interpellation de la résilience collective en face de la faillite. La sommation faite de rentrer dans le troupeau de ceux qui plient sans rompre et sans l’ouvrir. La convocation du silence individuel face à la souffrance générale. La matérialisation de la dilution de la volonté individuelle dans l’apathie collective.
Le message est clair: tout le pays est dans la merde, tout le monde/chacun supporte et serre la ceinture en attendant l’émergence promise par le Roi en 2035. Camarade, pourquoi tu viens déranger les gens?
Il ne manque qu’un hymne soviétique pour compléter le tableau. A la place, c’est Lady Ponce qui roucoule dans le transistor chinois posé sur le bureau. Une chanson-leçon qui enseigne aux femmes comment s’occuper du ventre et du bas-ventre d’un homme pour le rendre heureux. Sur le mur, en lieu et place du portrait du camarade Staline, c’est la photo lisse de notre immortel Roi qui me lorgne. Il semble me lancer un muet « achouka ngongolik! ».
La révolution des tuyaux
De retour chez moi, je lance une quatrième enquête de voisinage: “Voisins, ça vous dirait d’agir? Putain! Je veux me laver sans avoir à surveiller le robinet comme on surveille les élections, pour le même résultat depuis quarante ans!”.
Je sensibilise le voisinage et propose une action collective: arrêter de payer les factures d’un service quasi inexistant et s’opposer à tout agent qui tenterait d’effectuer un enlèvement de compteur. Ils vont bien finir par réagir et nous écouter!
A l’évocation des concepts de protestation et opposition, les visages se ferment. Les épouses-ménagères se rappellent qu’elles doivent cuisiner. Les hommes se souviennent que c’est l’heure d’écouter les infos en attendant la bouffe préparée par les épouses-ménagères.
Je ne baisse pas les bras. Au diable les vieux réacs domptés au bâton par Ahidjo, je vais convaincre la jeunesse de Biya de me suivre.
Faute de lieu de rassemblement, foyer de jeunes ou même parcs de quartier, éléments inexistants du paysage urbain yaoundéen, c’est dans un bar que je tiens ma première réunion avec “les jeunes influents du quartier” quelques jours plus tard.
Je suis écouté en silence. Un silence qui s’éternise jusqu’à la fin de mon monologue, au point de devenir pesant. Ce n’est qu’après les mots “barman! Un casier de bières pour mes nouveaux voisins!” que les applaudissements viennent. Qu’on me salue, me promet allégeance, résistance, fermeté, engagement, recrutement.
Camwater c’est même qui hein mon frère? on va leur faire ça duuuuur! Barman, décapsule ici!
J’ai un goût de cendres dans la bouche, mais bon, à la guerre comme à la guerre, armée régulière ou PMC Wagner, j’ai besoin de soldats.
Seulement, mon initiative n’est pas passée inaperçue. Le lendemain, un samedi, un gamin en guenilles tape à ma porte, sûr de son droit de perturber ma grasse matinée. Son argument est bref: tonton, le chef t’appelle.
La phrase a valeur de convocation en bonne et due forme. Le gamin qui n’attend aucune autre réponse que l’obéissance attend patiemment. J’enfile un t-shirt à peu près propre, avant de suivre mon sherpa dans les ruelles du quartier.
C’est ainsi qu’une demi heure plus tard, je suis dans un salon sombre. Par la fenêtre aux rideaux en tissu du grand parti, j’aperçois le drapeau à peu près vert rouge et jaune qui indique l’importance du lieu.
Sur un mur, la célèbre photo photoshopée de notre immortel Roi. Un pallier en dessous, celle d’un vieillard engoncé dans un ridicule uniforme beige qui semble tout droit sorti d’un musée de la colonisation. Sous le cadre, avachi dans un canapé, mal rasé, débarrassé de l’uniforme de clown et de la casquette, la réplique humaine de la photo me fait face: le chef de quartier. Son regard de vieux roublard qui en a vu des vertes et des pas très vertes m’examine sous toutes les coutures. ça ne sent pas bon.
J’ai soif. La suite dans le prochain épisode…
Contente de vous relire
Toujours aussi caustique,vérédique et plein d’humour
Tjs aussi bon!
Je vous lis depuis des années… Le plaisir est intact !!! La vérité, la réalité… Entre larmes et rires ! Le combat des maux par les mots, ne lâchez pas votre plume… Lectrice fan assidue, divorcée d’un camerounais, mais toujours en amour pour le Cameroun
Tout le plaisir est pour moi chère Marie.
You make want to stay in bed and continue reading you.
This is so well written to bring back the memories of Yaounde, the image, the scents and even the music. I was playing DJ cerveau….lol
I can’t wait to read part 2.
Toujours l’envie de vous lire et d’apprécier votre capacité à peindre le quotidien et la réalité sociale de notre pays. Continuez!
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« C’est un problème général. » Celà veut tout dire. Pourquoi tu te plains alors que tout le monde est dans la même situation ? M. était revenue au final? Peace and love!
Ngimbis is Back !!!!!
Pardon grand, il ne faut plus durer sans nous donner les news comme ça. On va faire comment sans notre kongossa régulier ?
Tu nous a manqué ooooh j’attends la partie 2 avec impatience.
Qu’est ce que le vieux roublard va te réserver…lol
wow. Ca commence tres bien. Je veux bien lire la partie 2, la suite est interessante.