Ding dooooong!!!
Les deux notes s’extirpent de la sonnette chinoise de mon domicile et me fracassent le crâne. C’est samedi après midi et je suis de mauvaise humeur, comme tout ceux qui consacrent cette journée à réparer leurs organes, victimes des excès, abus et autres dérives du vendredi.
Le visiteur est un pote, appelons le Fernand pour ne pas avoir à écrire «un pote» durant la narration qui va suivre et dans laquelle il tient, un rôle certes anonymisé mais prépondérant.
Fernand est un mbenguiste, un de ces compatriotes échappés du paradis camerounais, transformé en enfer par la malgouvernance. Installé en Europe, il est de passage au Cameroun pour des vacances et massacre la vie à grands coups de CFA, probablement pour oublier le coût de cette escapade, échelonné entre un billet d’avion hors de prix et une ribambelle de cadeaux à une famille dont il ne voit pas la fin.
– Mbom y a quoi?
– Gars! Il faut que tu me rythmes chez la fille d’hier, elle m’a invité manger un violent ndomba de silure !
– Quelle fille?
Opération Ndomba
Mon cerveau patine puis se souvient. Hier, pour fêter nos retrouvailles, je l’ai entraîné au Cubana, un bar de Biyemassi Lac, antichambre de l’enfer à la lisière de Yaoundé 3 et Yaoundé 6. Emerveillé par l’ambiance épicée, l’omniprésente musique nigériane , la bière à prix cadeau et la faune locale faite d’une meute de péripatéticiennes dont les formes n’ont d’égales que les tenues outrageuses, Fernand a passé la soirée de sa vie.
Comme dans une soirée réussie, chacun s’est barré de son côté, sans dire au revoir. Tandis que je m’engageais dans un corps à corps gustatif avec l’infâme bouillon de jarrets de chèvre du couloir jouxtant le bar, je me souviens de lui hélant un taxi pour son hôtel, escorté par une fille rencontrée durant la soirée.
J’ignore l’étendue de l’art déployé par sa compagne durant leur courte nuit, mais le résultat est devant moi ce samedi: Fernand jappe tel un toutou impatient d’aller faire sa promenade. J’hésite, mais les effluves du ndomba à venir me convainquent: j’ai besoin de piment pour relancer la machine et personne de normalement constitué ne crache sur une assiette -gratuite- de ndomba.
*ndomba: viande/poisson cuit en papillote. La papillote est faite de feuilles de bananier qui en plus des épices utilisées confèrent au mets un goût que mes mots ne suffisent pas à décrire. Une recette ici
Tanga Nord
Nous voici à Mvog Ada. Mal réveillé malgré la douche froide prise dans un seau et que je n’appellerai pas bain eu égard au volume d’eau, je tire une tronche de rdpciste privé de casse croûte à l’issue d’un meeting. Piment sur la sardine, Fernand a mal négocié le prix de la course en taxi et le chauffeur s’en sort avec mille francs de plus que le tarif prévu, payés de ma poche!
Mbom mets ça sur ce que je te dois, on gère quand je change les euros.
Il se moque de mon hospitalité le bougre. Le problème n’est pas l’argent, mais les mauvaises habitudes qu’il donne aux taximen de Yaoundé. Les mbenguistes passent, nous les locaux on reste, l’inflation aussi.
Grâce à ses rues plus ou moins bitumées, Mvog Ada donne l’illusion d’un quartier «normal». Mais comme pour un décor de cinéma, il suffit d’emprunter une des sentes qui s’enfoncent dans le quartier pour découvrir l’envers du décor: un bidonville tropical à un jet de pierre du centre ville de Yaoundé.
Pas d’adressage des rues, chantier insurmontable depuis l’indépendance, donc, nous nous repérons comme tous les yaoundéens, à coups de «tourne à droite après le panneau Express Union». Au bout du gymkhana, une épicerie, celle du « sénégalais », phare et repère universellement connu. La véranda est constellée de vieilles chaussures pleines de boue qui attendent leurs propriétaires: Il a plu ce matin, les travailleurs obligés de sortir quêter leur pitance se sont livrés à une séance de patinage artistique dans la gadoue, puis ont laissé les skis au vestiaire avant de chausser les souliers propres et vernis, nécessaires pour faire illusion sur le bitume du progrès.
La petite sœur de la belle nous attend. Une ado boutonneuse qui se plie à la tradition européenne de la bise pour le mbenguiste. «Bienvenue à Mvog Ada mon beau!». L’instant d’après nous suivons notre sherpa.
Le soleil a certes séché la boue matinale, mais le dédale emprunté est parsemé de flaques d’eaux usées dont l’odeur renseigne à peu près la composition. Mon équilibre est encore perturbé par les Kadji de la veille, j’implore le dieu des lendemains de cuite afin qu’il m’évite une chute.
Gars! Je croyais qu’on allait chez elle! Je chuchote en évitant une flaque vert ndolè, probablement radioactive.
– Oui chez elle, mais elle vit encore chez sa mère.
– Tu ne t’es pas dit que ce n’était pas une bonne id…
Je suis interrompu par la sœur. Nous y sommes!
La caverne des sans-dents
La maison est à l’image de celles que nous venons de traverser : case rectangulaire qui transpire la misère par tous les pores des parpaings. Visiblement, quelqu’un a eu une idée, en a commencé l’exécution, mais n’a pas eu le temps de l’achever. Faillite, crise économique, licenciement, prison, décès ou tout cela à la fois. Nous sommes au Cameroun, la terre de tous les possibles.
L’habitacle est sombre, comme la plupart des habitations dans cette ville où l’ensoleillement est paradoxalement roi. Sol cimenté, plafond inexistant, les murs ne sont pas peints. On pressent que les habitants ont d’autres problèmes que l’esthétique des lieux. Seul un énorme classeur en bois, vestige d’une époque révolue apporte un semblant de cachet à la pièce. Sur un mur, la photo grand format d’un flic en tenue d’apparat grimace un sourire. Le pater familias sans aucun doute, parti trop tôt, ou avec une autre…
Tout à mon humour douteux, je bute sur les gamins, une ribambelle de têtes crépues installées devant un écran plat flambant neuf qui distille une de ces merdes de Disney qui signent la décadence de l’humanité. Un aboiement de l’adolescente et les gosses s’éparpillent à contrecœur par la porte restée ouverte. Elle récupère le dernier, un bébé vautré dans le fond du canapé et nous fait signe de nous asseoir. Le canapé est défoncé et comme les murs, il pue la pauvreté avec en prime une fragrance d’urine qui me laisse au bord de la nausée.
Cendrillon du ghetto
Vingt minutes que nous sommes assis. J’ai des envies de meurtre à force de regarder Peppa Pig sauter dans la boue pixellisée. En face de nous, la mère de famille s’est installée devant une cuvette de plantain qu’elle épluche méthodiquement. A part le «bonjour mes enfants» murmuré à son entrée, pas un mot d’échangé. On attend quelque chose, ou quelqu’un…
Elle apparaît enfin, le pas traînant. Fardée, maquillée, peinturlurée, Cendrillon du ghetto. La tenue rose fluo manque m’arracher les yeux. Mais ce sont surtout les carrés de peau laissé nus par la jupe ultra courte qui me clouent sur place. Loin de moi l’idée de remettre en question ce tribut de la lutte féministe, mais je m’interroge sur le contexte. Un coup d’œil vers la mère me rassure, ou presque: elle continue d’éplucher son plantain, imperturbable. Moi quoi?
Rituel de la bise puis la promise s’installe entre nous dans le canapé.
Nous ne sommes plus seuls. En plus de l’adolescente sherpa, trois autres filles aussi court vêtues que Cendrillon occupent désormais l’espace du salon. « Tout ça c’est mon ventre » précise la mère, en clair toutes sont ses enfants. Elles nous mangent des yeux, le malaise s’épaissit. L’impression d’une revue des troupes chez Madame Claude.
Cendrillon présente officiellement son « gars » à la tribu. Le mbenguiste parade, whitise et multiplie les banalités au milieu des gloussements. Je me demande ce qu’elle peut lui trouver. Fernand est un de ces mbenguistes camerounais qui visite son pays comme un touriste, uniquement concentré sur son plaisir et les passe droits que lui confèrent ses euros démultipliés par la traversée de la Méditerranée. Il évite soigneusement les sujets qui fâchent: les conditions de vie, l’espérance de vie outrageusement basse, les morts sur la route, la corruption, la pauvreté.
En soirée comme en société, il préfère vanter la cuisine camerounaise et la beauté surfaite de son pays, paravents derrière lesquels il se cache chaque fois qu’on aborde les sujets politiques qui ont le don de le rendre muet et décérébré. Etonnant à quel point un titre de séjour, garantie d’un retour sous des cieux étrangers peut rendre résilient. Mon frère il faut laisser la politique, le pays est doux, buvons la bière…
Je suis présenté sous l’étiquette « l’ami du mbenguiste ». Lui il vit ici à Yaoundé. A l’évocation de mon ancrage local, je sens ma côte baisser dans le regard de la sororité. Moi quoi? Tant que le ndomba arrive…
La mère lance un opportun « Tes amis ne boivent rien? »
Ouf! me dis-je, une qui n’a pas oublié les sacro saintes valeurs d’hospitalité. Cendrillon se penche à l’oreille de Fernand, bref conciliabule puis Fernand se penche vers moi.
Mbom donne moi un peu cinq kolos là, tu sais… les euros à changer et tout…
Ékié!
Mon hésitation a jeté un froid. La spatule de la mère accorde un répit aux plantains. Seuls les couinements de Peppa Pig troublent le silence au milieu duquel les yeux de Fernand me supplient. Je sors un billet vert et le tend au mbenguiste qui fait une passe directe à Cendrillon. L’atmosphère se réchauffe instantanément.
Toute souriante Cendrillon accroche mon regard. Elle caresse mon billet made by BEAC qui profite de son parfum échappé d’un duty free. Mon beau tu bois quoi?
Mon cerveau essaye encore d’assimiler ce qui vient de se passer tout en ordonnant à ma bouche de répondre: une Kadji, non glacée, s’il n’y a pas la Kadji, je prends la 33… Être camerounais c’est toujours avoir un plan B, le plan A ne marche presque jamais.
A ce moment là je l’ignore, mais le film ne fait que commencer.
A suivre…
Hâte de lire la suite
La suite est où Florient? Cela ne doit pas trainer.
Mardi…
Quel mardi?
La suite est dispo ici https://kamerkongossa.cm/2022/11/25/cendrillon-de-mvog-ada-suite-fin/
C’est vivant… Yaoundé !!!
Heureux de retrouver ta plume!! Suis impatient quant à la suite🤩
J’attends la suite pour me prononcer mais je suis ravi de te lire de nouveau
Oooooh mon blogueur préféré est de retour ! Suis entrée en transes à la réception du mail annonçant ce billet ! Tu m’as manqué. Je le dis hoha !
Excellent comme d’habitude ! Ta plume nous a manqué. Welcome back !
Vivement mardi…
Merci Florian.
Vivement la suite.
Entraînant ce récit cher Gus !
Impatient de lire la suite, qui sans doute sera plus épicée
Je sens que quelque chose se prépare… Bref
Magnifique introduction.Vivement la suite 🤣🤣
The best to ever touch it…. Tu nous as manqué Florian ! Très vite la suite et bientôt le bouquin ✨
Merci pour ce texte. Je suis impatient à l’idée de lire la suite.
Florian tu etais de quel coté pour revenir avec les démi kongossa? a mardi pour la suite.
Savoureux comme d’habitude. Vivement mardi
Vite, la suite ! Ngimbis, tu nous laisse haletants…
M. Ngimbis, c’est formidable. Suis impatient de connaitre la suite. C’est tres bien conte.
Hâte de lire la suite
Ta plume des fois me fait penser à celle du grand Séverin Cécile Abega.
Hâte de lire la suite 🙏🏽.
Trop fort, tellement immersif ce récit! Vivement la suite.
A ce propos, Florian tu n’as jamais pensé à écrire un livre sur toutes ces histoires?
Florian is back!! Tes chroniques m’ont trop manquées, bro!!
Un a abonné de plus
J’ai adoré !!
Mon Dieu quelle plume !!!