Texte rédigé par Laetitia Loé en tant que blogueuse invitée.
Alignement des planètes, don du ciel ou karma ? L’actualité a offert aux féministes camerounaises une opportunité inespérée de lever la voix contre les violences faites aux femmes dans leur pays. Au cœur des #16jours d’activisme contre les violences faites aux femmes de ONU FEMMES, Djaïli Amadou Amal, la désormais emblématique romancière camerounaise, a été primée du Goncourt des lycéens 2020 pour Les impatientes, un roman dénonçant la pratique ignoble qu’est le mariage précoce et forcé. Comment ne pas profiter de cet instant de radiance, pour pousser au premier plan le débat sur les violences sexistes, et particulièrement le mariage précoce et forcé, un fléau à la prévalence astronomique de 38% au Cameroun.

Un semblant de #MeToo
Une vague de libération de la parole des femmes avait déjà précédé le succès retentissant de Djaïli Amadou Amal, elle-même survivante de violences sexistes. Quelques semaines avant la grande annonce, des survivantes avaient brisé le silence pestilentiel qui entoure le calvaire des victimes de violences sexistes, prenant d’assaut les plateaux télé et les médias sociaux. Elles avaient le temps d’un buzz, ouvert une fenêtre sur un problème de santé publique qui peine à s’installer dans le débat de société alors qu’il touche 55% des camerounaises : les violences faites aux femmes.
Parmi ces survivantes, Moundjarnatou. L’histoire de Moundjarnatou, c’est celle d’une jeune femme qui n’a trouvé pour seul refuge qu’un plateau télé, pour dénoncer les sévices qu’elle aurait subi dans un mariage précoce auquel elle aurait été livrée à l’orée de ses treize ans. Si les prises de parole Moundjarnatou et des autres ont dessiné l’espoir d’un mouvement vers l’avant, le #MeToo camerounais reste encore lointain. Les réactions qui ont suivi ces sorties rappellent que l’espace public camerounais n’a jamais été préparé à recevoir la parole des victimes de violences sexistes. Une absence d’éducation des masses sur les thématiques comme la mémoire traumatique ou la culture du viol, est la cause des discours moqueurs et suspicieux qui ont suivi ces prises de parole. D’ailleurs, certains discours justifient allégrement ces violences.
Maturité relative
L’un des principaux arguments des défenseurs du mariage précoce est la maturité relative.
Les défenseurs du mariage précoce soutiennent que le statut d’épouse confère aux femmes-enfants, une maturité sociale qui leur permettrait de prendre des décisions et participer au développement de leurs communautés tout en s’y émancipant. Un argument qui fait montre d’un relativisme criminel, quand on connait les réalités sur le terrain. Mariage précoce appelant grossesse précoce, il faut donc le rappeler, l’enfance est une réalité gynéco-obstétricale, psychologique et médicale en général. L’adolescence est associée à un risque élevé de prématurité, de déchirure du périnée, de souffrance fœtale néonatale, de recours à l’épisiotomie, d’utilisation de l’ocytocine, d’accouchement par césarienne et de mortinatalité.
Faut-il également le rappeler ? Le mariage précoce entraine souvent le décrochage scolaire qui prive la jeune fille de sa capacité à connaître ses droits et à exprimer le potentiel qui lui permettrait de se réaliser en tant qu’individu et participer au développement de la société. Cette émancipation tout aussi précoce se résumerait donc à s’exprimer en tant que mère, en espérant trouver une place au milieu de ses coépouses, dans l’espace balisé et contrôlé qu’est le foyer. Pléthore de risques et conséquences sur la santé et la participation des jeunes filles au développement de la société, que les défenseurs du mariage précoce et forcé préfèrent ignorer, certainement pour ne pas céder aux caprices du poison occidental qu’est le féminisme, un féminisme aveuglément rejeté par une catégorie d’africanistes qui fait campagne pour un intégrisme parfois bantou, parfois zulu, haoussa ou peul, dont le seul territoire d’expression est la tentative de parasitage des actions menées en faveur des droits des filles et des femmes.
Mariage préventif
L’autre argument en faveur du mariage précoce est la prévention. Ces mariages ne seraient pas aussi précoces que préventifs. Le mariage préventif serait cette union à laquelle on livrerait les enfants afin de les protéger des dérives de l’environnement académique et scolaire où des pratiques aliénantes et dépravantes seraient omni présentes. Concrètement, il serait question de les protéger des relations sexuelles hors mariage, et de toutes leurs conséquences qui éloigneraient ces jeunes femmes de l’opportunité de se marier « décemment », entendez VIERGES.
Pour répondre à cet argument, il semble juste de procéder premièrement par un questionnement du principe de la protection qui est ainsi mis en avant. Dans l’idée du mariage préventif il y’a l’intention louable de protéger la jeune fille, mais de qui donc? D’elle-même ? D’une sexualité consentante et épanouie à venir? Des agressions sexuelles des camarades ? L’idée de cette protection en elle-même semble illusoire, tant les tentations du monde extérieures sont accessibles au clic prêt, sauf à priver la jeune fille de ce qui est désormais un droit fondamental, la liberté d’être en contact avec le monde. Par ailleurs, la prévalence des violences sexuelles étant plus grande dans le cercle familial que dans les autres espaces de la société, la jeune fille n’est pas plus en sécurité dans un foyer que dans la rue.
Il faudrait également interroger l’objet de cette prévention qui ne semble concerner que les jeunes filles, tant il est commun qu’elles soient arrachées des bancs de l’école pour être enfermées dans l’immanence reproductive, tandis que les garçons poursuivent leurs études. D’ailleurs, ces unions ne concernent que peu souvent des individus de la même classe d’âge, mais généralement une enfant et un homme deux fois plus âgé qu’elle.
Laxisme judiciaire
Si un travail impressionnant de sensibilisation, de capacitation et d’engagement masculin est mené sur le terrain, notamment avec l’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes, une pédophilie endémique cohabite avec un laxisme judiciaire dans le septentrion camerounais particulièrement affecté par le mariage précoce. Les dispositions du code civil concernant le mariage des mineurs (moins de 21 ans au Cameroun) sont connues par les populations de cette région, mais elles sont ignorées au profit des traditions locales. C’est donc dans une impunité totale, que des enfants à peine pubères sont mariées chaque jour dans cette partie du Cameroun.
Le poids électoral du grand nord serait à l’origine de l’indolence des politiques, dont l’action est nécessaire pour pousser le judiciaire. Le pouvoir des chefs religieux et traditionnels de la zone influant les choix électoraux des populations, ces chefs constituent une clientèle aussi précieuse que sensible, que les politiques de tous les bords ne semblent pas déterminés à contrarier en remettant en cause les traditions dont ces chefs sont eux-mêmes les premiers garants. Les organisations qui agissent sur le terrain sont donc privées de la nécessaire coercition complémentaire aux actions de sensibilisation indispensable pour entraîner des changements structurels.

Hypocrisie nationale
Les velléités de débat sur le mariage forcé invitent souvent l’opinion publique à un bal de donneurs de leçons. Il est commun, lorsque des scandales de violences sexistes se dévoilent dans des zones à culture arabo ou sahélo islamique, de tenter de se désolidariser de ce rapport violent qu’une société peut avoir à la femme, en jetant l’anathème sur des cultures et des religions que l’on a pourtant jamais côtoyées. On grimpe alors sur notre piédestal condescendant, et on prend une hauteur inespérée, pour dénoncer mais surtout dire au monde qu’on est meilleurs, qu’on traite mieux les femmes.
Si le mariage précoce donc forcé est une pratique culturelle néfaste concentrée dans les zones les moins développées et dont l’un des effets les plus graves sur le plan individuel et communautaire est la déscolarisation, pouvons-nous affirmer qu’au-delà de la scolarisation qui arrive par effet mécanique dans les zones très urbanisées, les filles reçoivent une éducation qui leur permette réellement de participer, décider et choisir ? La prévalence des violences sexistes et sexuelles de toutes formes, les plafonds de verre, l’idéalisation et l’injonction permanente du mariage, la sous-représentativité des femmes dans les instances décisionnelles, restent autant d’indicateurs de l’encrage des considérations machistes et de la situation préoccupante de la jeune fille et de la femme sur l’ensemble du Cameroun.
Il faut savoir dire non quand la tradition engendre la souffrance
Djaïli Amadou Amal
La question du changement social en faveur de l’éradication du mariage précoce et forcé au Cameroun demande l’implication des politiques, mais également une collaboration étroite entre les organisations de la société civile et les médias pour la vulgarisation des droits de la jeune fille et de la femme. Djaïli Amadou Amal a essuyé ses larmes, et à force de courage et de persévérance, porté la lumière sur son combat. Aux autres féministes camerounaises de mobiliser les forces pour que les larmes de la patience deviennent celle du courage, et que cette lumière rayonne jusqu’au jour elle deviendra redondante dans le jour levé de l’égalité. Une égalité d’autant plus menacée que les crises humanitaires déjà existantes au Cameroun, ne seront qu’être aggravées par la crise sanitaire liée au covid-19 si l’action n’est pas prise dans l’urgence.
Instructif
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