
J’ai connu vieux monsieur, un bameka, fils de l’Ouest camerounais. Je précise qu’il était bameka pour narguer ceux qui en ces temps troubles se proclament plus camerounais qu’autre chose. Ceux qui hier acquéraient prébendes et faveurs au nom de leur appartenance ethnique et qui aujourd’hui, prévoyant peut-être des temps sombres, lancent à ceux qui leur rappellent d’où ils viennent: qu’est-ce que la tribu vient chercher ici?
A l’époque où j’ai connu le vieux bameka, il était propriétaire d’une minicité à Bonas. Minicité est le nom que l’on donne aux clapiers et autres bouges que des marchands de sommeil pompeusement baptisés “promoteurs immobiliers” louent à des étudiants malmenés par la précarité et la crise du logement à Yaoundé.

Le vieux bameka, en plus d’être riche – du moins le disait-on, était pingre. L’Harpagon des Grassfields se promenait dans un tacot mangé par la rouille qu’on avait baptisé Tétanos Mobile. Comme chaussures, on ne lui connaissait que de vieilles espadrilles plusieurs fois passées sur le billard d’un cordonnier qui les avait renforcées mieux que leur créateur. Ses pauses-déjeuner étaient des moments épiques, on le voyait sortir de la poche intérieure de sa veste fripée des poignées d’arachides grillées qu’il accompagnait de bâtons de manioc et d’eau fraîche. Ses mastications puissantes semblaient avertir ceux qui auraient le malheur de le juger du sort qui les attendait.
A cause de l’inadéquation entre ses moyens et son mode de vie, le vieux était accusé de pratiquer la sorcellerie. Il faut le savoir, les enrichissements suspects ne sont pas rares sous nos latitudes. Mais bien sûr, en fonction de l’origine et du mode de vie du Crésus, on considérera qu’il s’agit soit d’un vieux sorcier ayant sacrifié une partie de sa famille et entourage, maintenus en esclavage mystique dans de vastes champs de café sur les contreforts du Mont Bamboutos ou au contraire, d’un jeune et dynamique homme d’affaire, devenu milliardaire en faisant heu… des affaires…
Pourtant, je l’ai dit, le vieux Baméka avait une boutique, épicerie austère mais toujours approvisionnée, devenue de fait une véritable institution dans le quartier. Le Vieux aurait pu écrire sur le fronton « Nul n’entre ici s’il n’a de nkap », mais dans sa légendaire sobriété, il s’était contenté d’un laconique « PAS DE CREDIT », probablement visible depuis la lune. Autant personne ne croit à l’histoire du plateau d’arachides source de la fortune du magnat de Bandjoun, aucun étudiant ne semblait accréditer la thèse selon laquelle le vieux bameka serait devenu un monstre de l’immobilier et vendant des galettes rassies et de l’huile en détail à des étudiants fauchés.

A l’époque, bien qu’étudiant et locataire dans la minicité du vieux, à ces accusations de sorcellerie, je ne prête aucun crédit. Les jaloux sont aussi vieux que le monde, Caïn, Esaü et autres personnages de science-fiction…
Un jour pourtant, coup de tonnerre: deux étudiants dont on ne peut soupçonner la collusion (l’un est drogbatiste et l’autre étofïste) affirment avoir aperçu chacun, le vieux bameka en train de « féticher » dans la cour de la minicité à une heure où les gens qui ne se reprochent rien dorment du sommeil des justes.

Euye!
Les jours passant, d’autres témoignages affluent et les détails se font plus précis. On dit l’avoir vu presque nu, en pleine nuit, déambulant dans la cour intérieure, vêtu d’un pagne ressemblant fortement au drapeau de la magie noire et débitant des phrases sibyllines.
L’affaire est troublante, sachant que le vieux vit à l’autre bout de la ville. Mais bon, moi quoi? Je continue d’arpenter la colline de Ngoa Ekelle à la quête d’un savoir hypothétique.
Deux semaines après les premiers “événements”, les mises en garde fusent. Les anciens de la cité me “convoquent”.
– Petit, ne joue pas les surpris. On sait que c’est toi qui monte sur la fille du bailleur.
– Donc…
– Donc tu n’es pas au courant de toutes les histoires de sorcellerie qui courent sur le père là?
– Moi quoi sur ça?
– Toi rien. On te dis juste que tu n’es pas le premier gars de la petite là. Le premier est devenu fou, le deuxième a un pied et demi à cause d’un bendskin, personne n’a revu le troisième. Quand tu vas tremper ton biscuit et te retrouver l’instant d’après en train de cueillir le café dans le Mungo tu vas confirmer.
Euye!
Ce que je ne vous ai pas dit, c’est que le vieux bameka avait une fille. Un laideron, hercule femelle dont le seul atour était une formidable paire de fesses. Je vois d’ici les critiques: sexisme, body shaming blabla. Vous ne l’avez pas vue, moi si, donc, vous me la bouclez!
Le vieux officiait dans son épicerie du lundi au samedi épaulé par son épouse. Le dimanche, il se faisait remplacer par sa fille. Pour l’élu de l’entrecuisse de cette dernière, c’était jour de marché, l’occasion de faire provision de spaghettis et de conserves sans payer un sou et en ricanant devant la grosse plaque “PAS DE CREDIT” installée par le vieux.
Les moralisateurs, prière de passer votre chemin. Si la vie d’étudiant est difficile, celle d’étudiant camerounais est pire. Qui n’a jamais été purgé par les haricots caillouteux du restaurant n°1 de Yaoundé I peut se permettre de me juger.
En apprenant le sort supposé de mes prédécesseurs, un combat se livre dans mon esprit. D’une part mon cerveau disons “logique” me dit qu’aucun vagin n’est assez grand pour m’y voir disparaître et réapparaître dans un champ de café dans le Mungo. De l’autre, mon hémisphère cérébral bantou me souffle que ce n’est pas parce que je ne crois pas en la sorcellerie qu’elle n’existe pas.
Je pense à mes délicieuses assiettes de spaghettis-sardine du dimanche et ma décision est vite prise:
Je continue!!!

Les jours passent. Le murmure du kongossa s’amplifie. J’ai l’impression que les autres habitants de la cité me regardent bizarrement. Comme un mort, ou comme un vivant en sursis.
– Hey ma coooo! C’est le djo-ci qui nyoxe la fille du bailleur?
– Oui non ma coo!
– Maaama! Les bassa’a n’ont pas peur de la mort hein!
– Laisse, les courts types et les problèmes! Ce qu’il cherche il va trouver.
Le doute s’insinue en moi.
Chaque fois que je croise le vieux bameka, j’ai désormais l’impression qu’il jauge la capacité de mes bras à soulever des sacs de café. Chaque fois que je joue à la bête à deux dos avec sa fille, je crois sentir une année de ma vie gicler hors de moi.
Ékié! Je meurs quoi? Mode ninja actionné. Je disparais.

Tous les dimanche je suis désormais invisible. Je tiens deux semaines. Tous ceux de la cité qui me croisent ont la même phrase à la bouche: gars! La fille du bailleur te cherche.
Trois semaines. En l’absence de ma manne dominicale, mon poids véritable me rattrape. Je flotte désormais dans mes jeans de galérien.
Quatre semaines. La sorcière essaye de me piéger. Elle m’envoie des sms du type: “tu es où? voici tes spaghettis et tes sardines qui t’attendent ici”. La chair veut flancher, mais l’esprit se souvient que je suis un noble et fier basso’o, dont les ancêtres sont descendus d’Égypte, la brochette d’escargots dans une main, la Kadji non glacée dans l’autre. Je résiste, dans la cité on m’appelle désormais Aka O Manga.

Au final, il y a cette nuit de samedi à dimanche. Une soirée passée à jouer les figurants sur la piste de Oxygène night club. Deux heures du matin. Dans la nuit sans éclairage de Bonas, j’emprunte le couloir qui mène vers ma chambre. Soudain, grincement. Mon cœur s’éteint pour ne pas voir la sorcellerie qui ne manquera pas de suivre. Un rectangle lumineux cisaille l’épaisse obscurité. La porte de la chambre C12. Je me retrouve nez à nez avec mon bailleur, hirsute, torse nu et luisant de sueur, chemise sur l’épaule, en train de remonter sa braguette. Dans son dos, la locataire de la chambre, une jeune étudiante manguissa au derrière musclé s’efface et referme. Mais pas assez vite pour que je ne remarque le pagne ultra court et le lit en désordre.
Je mets une seconde à comprendre. Le vieux Bameka met deux secondes à comprendre que j’ai compris.
– Bonsoir bailleur.
– …
Le lendemain matin, à 7h15 très exactement, dans la boutique du vieux Bameka les oreilles médusées de mes voisins de chambre m’ont entendu débiter: “bonjour le père. Je veux deux pains, six oeufs et une boite de sardine, je paye après”.
Dans le silence qui a suivi quelqu’un a dit “euye!”.
Le vieux Bameka m’a fixé droit dans les yeux. Dans les siens je me voyais attaché à une croix, purgé au piment et fouetté avec des sissongos. Mon regard quant à lui était braqué sur son épouse, avec une menace silencieuse: fais mwèk!
Sous les yeux ébahis des témoins, le vieux bameka a sorti les produits demandés plus un cahier neuf dans lequel furent inscrits mon nom, mon numéro de chambre et le montant de la dette. J’entrais dans l’histoire en devenant le premier étudiant de Bonas à avoir acheté à crédit dans sa boutique.
J’ai parcouru les quelques mètres jusqu’à ma chambre sur un nuage. La démarche d’Eto’o, l’insolence d’Amougou Belinga.
– Mais… le petit-ci fait comment? Après la fille c’est maintenant le père?
– Djoo! Les bassa’a et les écorces? Eux et les Bameka c’est les mêmes gens.
Le même soir, vers minuit, j’ai frappé à la porte de la chambre C12, elle s’est ouverte, mais la suite ne fut pas celle que j’avais prévu. D’ailleurs, ceci est une autre histoire.
On est ensemble!
🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣
Excellent, merci pour cette tranche de vie…
sacré nguimbis ou l’art de raconter des histoires à tuer de rires!bravo cousin
Merci
Merciiii Flo
J’adore.
C’est tout un art que de conter les histoires comme tu le fais. Excellent 👌🏾
Excellente histoire, comme d’habitude. Bravo👌
Very Nice the story. Big Up Florian
Merci beaucoup Florian. Je me permet de te tutoyer.
Excellent. Tout simplement 😂
😂😂😂😂 La fille de la C12 connaissait le fax de la sorcellerie, mais évidemment l’a gardé pour elle.
En tout cas j’ai bien ri, merci.
😹😹😹énorme !! Grave kiffé
Fabuleux comme toujours.
Merci pour cette belle lecture matinale, ça me rappelle beaucoup de choses quand j’étais à ngoa …
Sacré Ngimbis! Je me suis étouffée de rire le tour ci. Ta plume est exceptionnelle. Keep it up!
Savoureux
Il avaient effectivement vu le bailleur nu,mais pas pour les raisons qu’ils pensaient 😂😂😂😂.
La suite que tu avais prévu avec la fille de la 12 c’était laquelle ?
Mbom…toi alors. Mais constate que tu as changé de goût ce n’est plus la Castel c’est désormais la kadji🤣🤣🤣🤣🤣
Fantastique Florian ! Avec toujours la même verve et le même humour indécrottable
Excellent as usual !
Impécile! tu coupes le film pourquoi????